Jena (Épisode 1)

Jena : "Du point de vue de l'état civil, j'ai deux foyers, deux familles"

Retranscription

Cette retranscription est disponible grâce au travail généreux de Solen !

Anne : Bienvenue dans Polycule·s, le podcast francophone qui s'intéresse à toutes les pratiques polyamoureuses à travers un prisme transpédégouine et militant. À chaque épisode, un·e invité·e viendra me parler de son parcours personnel, mais également de son point de vue sur l'univers relationnel, amoureux et para-amoureux. Avec un fil rouge conducteur : en fin d'émission, c'est il ou elle-même qui désignera, parmi ses propres partenaires, l'invité·e du prochain épisode.

Je m'appelle Anne Ferret. Je suis une femme trans, ancienne journaliste, lesbienne et polyamoureuse.

En préambule de ce premier épisode, il me semblait important de vous expliquer mon cheminement intellectuel. Ce podcast est né d'une démarche introspective autour de nos pratiques amoureuses.

[Voix-off] Non-ethical monogamy. Kitchen table polyamory. MMM.

Anne : Le polyamour est devenu un mot-valise à la mode pour vendre des livres écrits par des sexologues ou des thérapeutes conjugaux/conjugales bien trop souvent blanc·he·s et bourgeois·e·s. Leur point commun est une approche aux relations individualiste, validiste, cis- et hétéronormative. Cette vision de nos relations s'inscrit dans la veine des livres de développement personnel proche des sphères pseudo-scientifiques. Personnellement, il me semble impossible de ne pas y voir une récupération capitaliste et opportuniste, bourrée d'injonctions bien utiles au maintien du système patriarcal.

Avec mes invités, j'entends questionner la place des relations multiples dans notre société, ainsi que les nouvelles façons de faire communauté ou de faire famille.

Toutes les relations humaines et amoureuses s'éloignant d'un schéma conservateur et reproductif, sortant du modèle de la famille nucléaire, sont fondamentalement transgressives, tout comme le sont par ailleurs nos identités queer, trans, gay, bi ou lesbienne.

Enfin, il me semble important de replacer au cœur du débat des problématiques trop souvent ignorées des milieux polyamoureux :

[Voix-off] Les rapports de classe.

Anne : Peut-on vivre son polyamour lorsqu'on n'a que peu de temps libre hors du travail, ou quand on n'a pas les moyens de se déplacer, voire même de se loger ?

[Voix-off] L'asexualité, l'aromantisme et leurs spectres.

Anne : Comment construire des relations alternatives dans un milieu gangrené par les injonctions au sex-positivisme ?

[Voix-off] Le TDS, travail du sexe.

Anne : Quel modèle de sexualité peut-on ériger dans et en-dehors du TDS, dans un cadre polyamoureux ?

[Voix-off] Et plein d'autres.

Anne : Ensemble, nous tenterons de secouer ce petit monde en friche en apportant de nouveaux niveaux de lecture ainsi que des définitions alternatives.

Bonne écoute.

Artiste et activiste, LGBTQIA+, Jena fait partie de ces personnes au parcours militant foisonnant. Je ne vous déroulerai pas l'intégralité de son CV ici, mais vous avez peut-être déjà écouté son podcast Nos Voix Trans, arboré un de ses jolis masques en coton à l'effigie de votre drapeau des fiertés préféré, ou même voté pour elle. Aujourd'hui maman et tout juste mariée, lors d'une cérémonie se voulant queer, joyeuse, militante, polyamoureuse et champêtre, elle continue de porter auprès des grands médias un discours sur les parentalités alternatives.

[Musique]

Anne : Salut Jena.

Jena : Bonjour Anne.

Anne : Comment ça va aujourd'hui ?

Jena : Oh, plutôt pas mal. Faut reconnaître, plutôt pas mal. Fatiguée, état normal fatiguée.

Anne : Okay. [rire] Je vais essayer de pas trop t'épuiser plus. On va quand même commencer avec une première question, qui est un petit peu la question que je vais poser à tout le monde en début d'émission. Est-ce que tu te définis comme polyamoureuse?

Jena : Oui, je me définis comme polyamoureuse, même si maintenant qu'on est rentré·e·s dans une période avec du vocabulaire plus précis, il y a certainement une définition plus précise à donner. Je suis attachée aux premiers mots que j'ai entendus pour décrire la non-monogamie éthique. Donc oui, le polyamour.

Anne : Avec qui tu relationnes en ce moment ?

Jena : J'ai des relations très, très différentes, en même temps, et j'aime beaucoup cette variété. Même si longtemps j'ai pas aimé le fait d'en parler comme ça, j'ai clairement une relation principale, avec qui je suis mariée depuis quelques jours.

Anne : Bravo.

Jena : Merci. Du coup. C'est vraiment difficile à nier qu'il y a un statut à part pour Paw. Et on est ensemble depuis huit ou neuf ans. Et ça a toujours été une relation importante pour moi. J'ai aussi d'autres relations, que ce soit dans la même ville ou plus loin, à distance, avec différents degrés d'intensité.

Anne : C'est quoi pour toi, des degrés d'intensité?

Jena : C'est le besoin ou l'envie de communiquer tous les jours ou à une certaine fréquence. Il y a des personnes, ou des personnes à certaines périodes de relation, avec qui c'est quasiment le premier message en envoyant le matin, le dernier message en atteignant le soir, à se souhaiter bonne nuit à distance, ce genre de choses. J'ai personne comme ça actuellement, mais la nécessité, ou en tout cas l'envie, en fait, de communiquer tous les jours, d'avoir quelque chose à se dire tous les jours, pour moi, ça veut dire qu'il y a une intensité, un quotidien en fait.

Anne : Depuis quand tu sais que tu n'es pas spécialement exclusive, on va dire ? Comment tu l'as découvert ?

Jena : Ah. C'est une bonne question. La plus ancienne trace dont je me souvienne, c'est d'avoir deux meilleures amies et de passer tout mon temps avec elles, de pas avoir une vie sociale en-dehors. Vraiment, on était inséparables. On se retrouvait le matin dans le même coin du lycée, dans un coin entre le mur et les casiers. C'est tellement neurotypique comme comportement. Et voilà, on émergeait du sommeil ensemble, là, le matin. On allait à nos différents cours parce qu'on n'était pas dans la même classe. Et on se retrouvait le soir avant de partir. Enfin, c'était vraiment fusionnel.

De leur point de vue à elles, c'était une amitié, de mon point de vue, c'était assez rapidement autre chose. Et je me souviens avoir ressenti le besoin, au bout d'un an ou deux, je ne saurais pas dater, de l'exprimer, de leur dire : « On n'est pas juste amies, je suis vraiment amoureuse. Et je suis amoureuse de vous deux. Et de vous deux en même temps, et il serait pas question pour moi de choisir. De choisir d'avoir une relation avec l'une d'entre vous ».

Rétrospectivement, c'était osé de ma part de l'exprimer, parce que j'avais beaucoup à perdre. Et parce que c'était vraiment pas commun à l'époque. À ma connaissance. Il n'y avait pas de représentation là-dessus, pas de série Netflix, tout ça.

Et c'était le bon cadre pour exprimer ce genre de choses, parce que c'était deux personnes qui m'aimaient énormément, et qui étaient très bienveillantes avec vous. Donc, elles m'ont dit que c'était pas commun, que aussi c'était pas réciproque, et que ça changeait pas notre amitié. Voilà, j'ai beaucoup… j'ai eu de la chance là-dessus, de pouvoir l'exprimer. J'avais pas de mot à l'époque pour ça. Et je n'avais pas plus l'envie de communiquer dessus.

Mais déjà à l'époque, en fait, je savais que j'étais bisexuelle. Et d'un point de vue très arithmétique, dans ma tête, puisque j'étais bisexuelle et que j'aimais autant les filles que les garçons, mon état idéal, ce serait d'avoir une relation avec une fille et une relation avec un garçon en même temps. [Rire d'Anne] Donc, j'étais nue, j'étais une proie, j'étais une licorne idéale, je demandais que ça, mais je savais pas où trouver les couples qui cherchaient.

Anne : Et du coup c'est dès à partir de ce moment-là que tu as commencé à vraiment, même sans forcément mettre les mots dessus, commencer à vivre de manière non-exclusive, ou t'as quand même eu un peu une phase où t'as pas trop su comment gérer ça ?

Jena : J'ai mis longtemps à oser en reparler à d'autres gens. Parce que ce cadre de bienveillance, où je pouvais l'exprimer, il est pas du tout identique. Quand on commence une relation avec quelqu'un, elle est par défaut exclusive. Et donc, c'était pas possible d'imaginer ça, je trouve encore plus dans les passions adolescentes dont je me souviens. C'était des débuts de relations qui étaient forcément exclusives, passionnelles, fusionnelles, possessives. Toxique. Jusqu'à la toxicité.

Et dont j'ai eu une première relation qui a duré deux ans, qui a enchaîné avec une autre relation qui a duré deux ans, et puis d'autres plus petites relations qui ont toujours été sous ce prisme-là d'une exclusivité subie, en ce qui me concerne, sans oser la remettre en question. Et subie, pas bien vécue. Parce que je sentais bien que ça me limitait. Et on me faisait comprendre, parfois explicitement, que ça me limitait. C'était un sacrifice qui était demandé de moi, qui était attendu de moi. Je n'aimais pas ça. Je le faisais parce qu'il fallait que je montre à quel point j'étais amoureuse, houlala. Mais bon.

Ça a voulu dire aussi qu'à un moment donné, un moment, dont je suis pas fière, où j'étais dans une relation avec une meuf que j'aime énormément, qui était adorable avec moi, etc. Et j'ai été, comme on dit parfois, aussi fidèle que mes opportunités. Et j'ai une très belle opportunité, d'une meuf qui était à la fois extravertie, magnifique et non-exclusive. Et qui m'a pas seulement proposé tout de suite, un truc d'un soir en fait, qui avait peur de me proposer plus parce qu'elle sentait que ce serait intense. Mais on y est allées quand même, malgré mon engagement, par ailleurs. Et voilà, elle m'a pas proposé qu'un truc un peu ponctuel, elle m'a proposé d'essayer de débaucher la ville entière, on était deux succubes ensemble. Et c'était beau aussi, par la clandestinité probablement. Mais je m'en voulais énormément. Et c'était mal, et j'ai fait beaucoup de mal autour de moi avec ça, avec cette histoire-là en particulier.

Et à la fin de cette relation, à la fin de ces deux relations, simultanées, ça a correspondu avec un burn-out personnel. Ça n'y a probablement pas été étranger. Et j'ai rencontré sur internet une meuf dans un autre pays et j'ai quitté le pays. Et je suis allé m'installer avec elle. Évidemment, c'était pas une bonne raison de quitter le pays. C'était pas une bonne raison de s'en aller avec quelqu'un que je connaissais à peine. Et c'était de nouveau quelqu'un qui était exclusif.

Donc, voilà, j'ai commencé à réfléchir. J'étais un peu loin de ma famille, loin de mes ami·e·s, loin de tout cadre social donc j'avais beaucoup plus de temps pour moi. Et quand je suis un peu perdue comme ça, je vais voir les assos LGBT. J'ai trouvé une association bisexuelle sur place. Et je m'y suis présentée. Et donc je me suis fait des ami·e·s sur place. Par un hasard très explicable, la plupart des membres de cette association bisexuelle étaient aussi membres d'une association polyamoureuse. [rire] Le diagramme de Venn des membres de ces deux associations était un quasi-cercle.

Et donc, j'ai découvert le polyamour là, dans un pays où je connaissais personne, et où d'un coup j'ai pu rencontrer des gens qui vivaient le polyamour de manière sereine, de manière ouverte. Qui disaient des trucs genre : viens, on va faire un barbecue et il y aura mon épouse, ma copine, son époux et son copain. C'était fabuleux. Alors, je débarquais, donc j'ai vu que les trucs à paillettes, quoi, j'ai pas vu les éventuels drames, je suis pas restée assez longtemps. Mais ça avait l'air bien. Ça avait l'air tellement bien.

Donc j'ai fait ma petite recherche dans Wikipédia, maintenant que j'avais un mot. J'avais "polyamory", dont j'ai tapé "polyamory" et il y avait une petite page Wikipédia. Il y avait trois, quatre pages quand même, parce que je l'ai imprimé en A4. J'ai encore cette impression qu'est datée de 2006. 2005 ou 2006, je sais plus.

Voilà, je suis rentrée en France. Et j'ai recontacté ma succube non-exclusive. Et je lui ai dit: « écoute, si t'es toujours partante, je suis toujours partante. Si tu veux, on se remet ensemble et puis on teste quelque chose ». Et elle a dit oui. Et après, elle a dit non. Elle a dit : « non, mais en fait je t'aime trop pour te partager ». Et j'ai l'impression de m'être fait avoir un petit peu. [rire d'Anne] Je lui ai ramené : « regarde, j'ai un papier qui dit que ça existe, qu'on peut faire ça, vraiment, tu vois ».

Et en fait, moi mon idéal, qui me définit plutôt : très romantique, demisexuelle, donc avec un besoin de m'attacher, vraiment, pour coucher avec des gens, disons pour coucher avec des gens de manière satisfaisante. Et puis elle, par contre, elle était complètement libertine. Mais cette différence de vocabulaire, on l'avait pas encore. On défrichait, au moins pour nous. Et du coup c'est une relation qui avait un bon potentiel au départ, mais finalement qui ne s'est pas bien finie.

Et donc je me suis dit : « ah, je ne m'y ferai plus prendre. Et maintenant je préciserai dans mes profils que je suis polyamoureuse, et qu'il faut me prendre comme ça et tout ». Je rencontre quelqu'un d'autre. Elle est super intéressée. Ruth est polyamoureuse, et bisexuelle, et tout, c'est formidable. « Moi, je crois que suis intéressée aussi. Ce que je te propose, c'est qu'on se mette ensemble. Et puis on va d'abord commencer exclusives, et puis, bah, si ça marche et si on a une bonne relation stable, on peut commencer à ouvrir notre couple. »

Et alors, je vous le dis là comme ça: c'est un piège, faut pas le faire, ça ne marche jamais. Jamais. Ça a dû fonctionner une fois ou deux, évidemment, il y en a toujours des contre-exemples. Mais, ça n'a pas marché, en fait. Étant bisexuelle et polyamoureuse, la fondation stable, la confiance qui était nécessaire à l'ouverture de ce couple, elle ne pouvait pas se créer avec quelqu'un qui, en face, me voyait comme un danger permanent.

J'étais bisexuelle, donc j'étais susceptible de séduire n'importe qui autour d'elle. J'étais polyamoureuse, dont j'étais susceptible d'avoir envie en permanence d'être avec quelqu'un d'autre. Donc elle était jalouse de tout et n'importe quoi. Même des gens qui me faisaient pas envie. Et donc alors que dans une relation monogame exclusive traditionnelle, au moins, j'avais le droit d'avoir des amis, ben là même pas. Parce que mes amis étaient suspects. Et c'était nul.

Ça a duré encore deux ans. Et de fil en aiguille, de deux ans en deux ans en deux ans, comme ça je suis arrivée. J'avais trente ans. J'ai dit : « eh, ça suffit là ». J'ai pris Google. J'ai tapé : "polyamour Paris". Et puis j'ai regardé s'il y avait une association poly, des gens qui se rencontraient, un truc comme ça. Et j'ai dit avec fermeté : ma prochaine relation, elle ne sera pas avec une personne exclusive. Elle sera pas avec une personne qui est intéressée par le polyamour. Je veux quelqu'un qui l'a déjà fait. Quelqu'un qui a déjà fait ce chemin dans sa tête. Je suis pas là pour aider quelqu'un d'autre à faire ce chemin-là.

Et à partir de ce moment-là, j'ai pu trouver des relations qui étaient toxiques pour d'autres raisons. [rire d'Anne et de Jena]

Anne : Ah, ouais, ça existe aussi.

Jena : Oui, c'est pas tout rose, enfin ça résout pas tout, quoi. Mais voilà, à partir de ce moment-là, je m'y suis vraiment tenue. Il y a des fois où j'étais la première relation polyamoureuse de quelqu'un, mais je voulais quand même que ce soit un chemin… je ne voulais pas avoir à convaincre quelqu'un. Il faut jamais essayer de convaincre quelqu'un. Je suis très péremptoire parce que je fais vieille camionneuse là comme ça. Vieille routinière du polyamour.

Convaincre quelqu'un, c'est comme retourner un hétéro, quoi. Si on admet ça, on admet une possibilité de thérapie de conversion. Donc, je pense que ce sont des chemins qu'il faut laisser faire.

Anne : Dans ce que t'as dit plusieurs choses qui m'ont interpellée. Je pense notamment au fait que tu m'as dit que tu avais découvert un petit peu ce que c'était que le polyamour au sein d'associations bisexuelles. La soupe bisexuelle. Comment tu vois, toi, parce que tu l'as dit toi-même, il peut y avoir une intersection assez importante entre les milieux LGBT d'une manière assez large et le polyamour. Comment tu l'expliques ?

Jena : En imaginant un polyamour assez ouvert. Moi, j'ai un idéal de relation qui n'est pas cloisonné. Je peux tolérer ça dans mon entourage, mais je trouve ça chiant à gérer. Ah, parce que pour moi, le cloisonnement résulte d'un besoin de se protéger, probablement d'un truc a été traumatique dans le passé, il y a quelque chose qui est pas simple. Donc, si on part du principe d'un homme, d'un polyamour assez ouvert, mathématiquement si on fait une relation à trois, il y a deux personnes de même genre, plus ou moins. Ça veut dire qu'il y a au moins une personne qui va devoir être pas hétéro quoi. Ça veut pas dire que tous les gens, partenaires et partenaires de partenaires, doivent coucher ensemble, bien sûr, mais donc là, je partais de ce qu'était mon idéal de quand j'étais petite, qui était avoir une relation à trois, finalement. Donc je parle de cette idée-là. Donc pour moi, c'est une des raisons.

L'autre raison, elle est plus psychologique. C'est-à-dire que j'ai l'impression qu'on trouve dans ces milieux-là des gens qui ont eu l'énergie, ou le temps, le courage, le privilège de se poser des questions sur ce qu'ils ou elles veulent dans leur vie, et ce qu'ils peuvent remettre en cause comme règles sociales. On est rarement bisexuel·le par hasard, je trouve. On est bisexuel·le parce qu'on a testé des trucs et on revendique une case. Et c'est vraiment, j'ai l'impression… j'aime bien me rendre compte, là, que ma définition, elle est à contre-courant de ce qu'on dit d'habitude sur les bisexuel·le·s, qu'ils n'ont pas choisi.

Anne : Oui.

Jena : Le polyamour, c'est pareil. Le polyamour, on n'y est pas parce qu'on a copié un Disney quand on était petit, quoi. On y est parce qu'on a beaucoup réfléchi à ce dont on avait besoin. Il y a une intersection comme ça aussi avec le monde du BDSM. Avec les identités de genre non-conformes. On trouve plutôt des gens comme ça. Ça rend le dating pool un peu plus cool. Pas 100 % cool, mais un peu plus cool.

Anne : Est-ce que tu as des règles spécifiques? Et comment tu les as définies ? Comment tu fais avec tes partenaires ?

Jena : J'ai pas de règles personnelles. J'ai des règles définies au cas par cas, partenaire par partenaire. Parce que les relations sont différentes, donc les règles peuvent être différentes d'une personne à l'autre. Et je me rends compte que des fois, on arrive à avoir des règles tacites, même dans des relations polyamoureuses. Genre a posteriori.

J'en ai un exemple, il y a quelques jours d'une amoureuse qui me dit : « voilà, j'ai commencé à discuter avec quelqu'un qui me plaît bien, et on est comme on est en relation, je me dois de t'en parler, tout ça ». Et je l'ai pas reprise sur le sujet. Voilà, je lui ai demandé comment c'était, est-ce que ça lui plaisait, et tout. Et pour moi, je trouvais que non, elle ne me devait pas cette information. C'était cool qu'elle veuille la partager, mais elle me la devait pas. Et ça, ce sera une discussion avec elle un jour ou l'autre.

Voilà, ça s'ajuste au fil du temps. Comme ça là, il me vient pas de règle que je définirais, genre au début de la relation où je dirais : « Voilà votre induction package avec la clé de la porte, la clé du wifi, etc. », quoi. C'est pas aussi formel.

J'ai une règle un peu constante quand je discute avec mes partenaires, mais elle vient pas automatiquement, elle vient si on en discute, c'est : je veux pas être la maîtresse adultère. C'est-à-dire que si toi et moi, on a une relation éthique, j'ai pas envie que t'aies de relation pas éthique de ton côté. J'ai envie que cette honnêteté soit l'air qu'on respire, quoi. Que je ne me pose pas la question de savoir si, puisque tu mens à la personne avec qui tu vis, avec moi, pourquoi t'es honnête. Est-ce que t'es vraiment honnête ?

Anne : Oui. Faut qu'il y ait un climat de confiance, c'est la règle.

Jena : Je crois que c'est même pas souvent prononcé comme règle. Ça se passe plutôt dans la sélection des partenaires, finalement.

Anne : Tu m'as dit que tu vivais avec la personne que tu as épousée. Comment ça s'organise la vie dans cette situation, du coup ? Comment tu partages ton temps, comment tu t'organises, comment tu réussis à faire fonctionner tout ça ?

Jena : Là, je dirais que le premier élément qui privilégie une relation sur toutes les autres, c'est la logistique, c'est le fait d'habiter avec Paw qui fait qu'on passe beaucoup plus de temps ensemble qu'avec n'importe quelle autre relation. Ça a un bon côté et un mauvais côté. Le bon côté, c'est que j'obtiens de passer beaucoup de temps avec quelqu'un que j'aime énormément. Ça, c'est cool.

Ce à quoi elle et moi, nous devons faire attention, c'est que, puisque nous vivons ensemble, on a une règle qui est : les relations extérieures ont la priorité sur l'emploi du temps. Par exemple, j'ai une partenaire que j'aime énormément qui habite dans un autre pays. Si elle me fait la surprise de débarquer avec son sac à dos en disant : « voilà, je suis là pour trois jours», on ne va pas lui opposer : « ah, écoute, non, j'avais prévu de dormir ce soir avec mon épouse. Je propose que tu te trouves un hôtel ou là on a un canapé dans le salon ». Alors, c'est un petit peu extrême, et ça n'est jamais arrivé à ma connaissance.

Mais ça veut dire aussi que, finalement, le temps par défaut, je le passe avec Paw, et puis le temps organisé, je le passe avec les autres. Et là où il faut faire attention, c'est que ça peut donner l'impression que, finalement, ce n'est que le temps qui reste que je passe avec elle. Que parfois, il reste rien. Ou parfois il reste du temps qui est consacré à des tâches domestiques. C'est pas du temps de qualité, quoi, c'est pas du temps d'amoureuses. Il faut qu'on soit vigilantes à ça.

Et d'un point de vue beaucoup plus prosaïque, comment on s'organise, c'est qu'on a toujours eu des chambres séparées. Et c'est pas prévu de changer avec le mariage. Nous sommes des militantes des chambres séparées. Alors elles sont mitoyennes, des fois, on s'appelle juste en tapant sur le mur. Mais c'est important d'avoir notre espace, et c'est un espace qui est sacré, dans lequel on n'entre pas sans frapper. Et ça permet aussi de recevoir d'autres gens sans avoir à reléguer quelqu'un qui habite là dans une chambre d'amis ou dans un salon, quoi.

Ça, c'est un de mes chevaux de bataille, en fait, c'est vraiment le truc des chambres séparées.

Ah, y a une image qui me vient parce que j'ai eu deux frères et deux sœurs, c'est que nous passons notre enfance à partager nos chambres avec des frères et sœurs, à attendre enfin le moment où on aura le droit d'avoir une chambre à soi. Et puis on devient adulte, plus ou moins vers entre dix-huit et trente ans, selon les cas. On quitte le domicile familial et le premier truc qu'on fait, c'est de faire chambre commune avec la première jolie inconnue qui passe. Finalement, voilà, le privilège de la chambre seule, je crois qu'il faut le chérir. Quand on peut, quand on a les moyens, etc. Évidemment.

Anne : Je sais que tu es militante. Tu te définis en tout cas comme telle, il me semble. Tu milites pour les droits LGBT, entre autres choses. En ce qui concerne le polya, parce que tu nous as déjà un petit peu expliqué que de ton point de vue, c'était pas forcément quelque chose que l'on choisissait, mais plutôt quelque chose qui nous arrive. Est-ce que tu as un point de vue politique sur la manière de gérer le polya au quotidien, sur la manière de le défendre, peut-être auprès du grand public ? Est-ce que tu as des références, des lectures qui parlent de polya ? Voilà, quel est ton point de vue, peut-être un peu plus politique à ce sujet ?

Jena : Comme cette question est bien tournée.

Anne : [rire] Merci.

Jena : Je la trouve diplomatiquement nickel. Je dirais que la défense du polyamour, elle est intéressante d'un point de vue politique. Et c'est un axe de défense qui m'a vraiment intéressée au sortir du vote de la loi de 2013 sur l'égalité devant le mariage, parce que je voulais pouvoir défendre politiquement la ligne que, maintenant que le mariage n'est pas conditionné par le sexe de ses membres, et que le mariage est toujours conditionné au nombre de ses membres. Donc, le mariage est une union patrimoniale fiscale entre deux adultes consentants majeurs. À ce moment-là, le PACS pourrait servir de contrat d'organisation de la vie à plus de deux personnes. Le PACS pourrait servir maintenant à organiser une famille avec trois parents et pourrait organiser une maisonnée avec un polycule. J'avais bien envie de défendre cette position-là et le climat politique m'a pas semblé super favorable.

Il y a eu un moment donné, même, des ministres qui parlaient de lutter contre la polygamie de fait, légalement quelque chose qui n'existe pas, puisque polygamie veut dire légalement le fait de contracter plusieurs fois le mariage. Même en droit français ça n'existe pas. On n'a pas besoin de l'interdire parce que ce n'est légalement pas possible. Mais donc, ce que cette personne raciste voulait défendre, c'était évidemment des situations avec plusieurs personnes qui vivent ensemble, et voulait parler de polygamie qui viendrait d'autres pays, peut-être de pays du sud, de gens qui n'auraient pas la nationalité française, et parlait explicitement de les expatrier, ou de les priver du sol, voire les priver de nationalité française quand c'était possible. Donc, c'était pas un climat propice à ça.

Mais je me souviens que ce genre de discours, on l'a entendu jusqu'à récemment. Il me semble que Marlène Schiappa a dû revenir sur ce sujet à un moment donné où elle avait envie de taper sur les musulmans et en précisant: « Ha ha, vous allez pouvoir continuer vos plans à trois », quoi. Parce que c'est aussi quelqu'un de très distingué et qui fait honneur à sa fonction

Anne : Tout à fait.

Jena : Non, mais je sais qu'on est enregistrées, donc je fais attention à ce que je dis.

Et puis, il y a un autre angle qui m'est très cher dans la défense du polyamour, qui est le statut du parent social, qui a été une promesse de campagne de tous les présidents, depuis certainement Chirac et qui n'a jamais, jamais, été remplie par qui que ce soit. L'idée de donner un statut à ce qu'on appelle le beau-parent. Mais en français, c'est un peu flou, ça désigne n'importe qui. Mais donc spécifiquement le parent social, c'est-à-dire finalement le nouveau conjoint ou l'ancien conjoint encore présent, des choses comme ça, une personne qui est présente au quotidien dans la vie de l'enfant, et cette personne n'a que peu de droits, le plus souvent pas du tout. Il y a beaucoup, beaucoup d'enfants qui ont grandi avec un parent, qui n'ont plus le droit de le voir après parce que le parent légal considère que son confort de vie post-rupture est plus important que la stabilité dans la vie de l'enfant. Tout ça, pour moi, ce sont des bonnes raisons de parler de polyamour en politique.

Il a aussi un cadre LGBT dans lequel on peut aussi aborder ces sujets-là. Donc non, c'est pas uniquement polyamoureux. Ce qui veut dire que, pour arriver à répondre à une question que tu n'as pas posée, pour moi, la discussion sur le polyamour, elle a une pertinence dans le cadre LGBT, dans le cadre de la défense de ces droits-là. Ça veut pas dire que n'importe quelle personne cis hétéro polyamoureuse peut se revendiquer d'être queer ou LGBT. Il y a une distinction qui est fine, mais ça veut dire qu'il peut y avoir complètement un cortège polyamoureux dans une marche des fiertés, et je pense que ça aurait sa place si c'est, si c'est précisé que c'est pas spécifiquement le type de polyamour, de cow-boy, de mecs qui juste utilisent ce mot-là pour collectionner les conquêtes.

Anne : Il y a une question assez intéressante dans ce que tu soulèves, c'est finalement le rapport au futur, le rapport à son propre avenir. En tant que polya, on a énormément de représentation de polyamour quand on est jeune, quand on est fringant et entreprenant et que l'on multiplie les conquêtes. Mais comment on envisage ça sur le long terme ? Est-ce qu'on n'a pas, pour le moment, des représentations qui nous poussent à finalement nous dire que, à un moment donné, bon, ça ira, on va redevenir mono quand même, parce que c'est comme ça qu'on fait famille, c'est comme ça qu'on a des enfants ? Question un peu orientée, je l'admets.

Jena : Non, moi, c'est intéressant parce que j'ai l'impression d'être un petit peu déconnectée du type de représentations polyamoureuses qui exist actuellement dans les médias parce que j'ai arrêté de regarder des œuvres de fiction juste parce qu'il y avait du polyamour dedans. J'étais un petit peu la personne dans mon cercle amical ou familial à qui on envoyait le message sur Facebook en disant: « eh, regarde ce truc-là, il y a une famille polyamoureuse ». Maintenant, je pose la question : « vas-y spoile-moi, est-ce qu'ils sont toujours ensemble à la fin ? » Est-ce que je dois regarder ou est-ce que ça va encore me saouler quoi ? Parce que les représentations médiatiques que je connais sur le polyamour, ça a l'air fun, ça a l'air intense, et ça a l'air de mener à la mort de 33 % de tous les trouples. Donc, je ne sais pas à quel point ça peut faire envie quoi. Et du coup la représentation polyamoureuse à long terme, je ne sais pas si elle existe beaucoup actuellement. Mais voilà, je suis vieille maintenant, j'ai plus de compte Netflix.

Du coup, comment on construit ça ? Je dirais avec obstination et chance. Je crois pas que c'est juste en disant: « je suis poly et je vieillirai poly ». C'est aussi, « ouais, est-ce que je jette l'éponge ? ».

Pour revenir à un terme que tu as employé tout à l'heure, sur le fait que la polyamour peut être considéré comme une orientation. Une sorte d'orientation relationnelle, par exemple. Comme il y a une orientation romantique et puis une orientation sexuelle. Moi, je sens assez profond dans mes tripes que c'est mon orientation relationnelle. Mais je connais aussi des personnes qui sont venues au polyamour par une approche plus politique ou philosophique. Pour qui ça a été issu d'une réflexion sur les grands penseurs de l'anarchie du 19e et du 20e siècles, sur la non-possession du corps de l'autre, des choses comme ça, qui sont arrivées rationnellement au polyamour. Je sais pas comment ces personnes le vivent, viscéralement. Est-ce que finalement, elles pouvaient aussi vivre monogames sans aussi mal le vivre que moi avant mon coming out, tout comme, voilà, une personne gay vit mal ses autres relations avant son coming out. C'est un parallèle audacieux, mais bon, j'ai l'impression que ça fonctionne.

Et du coup pour moi, qui fait durer depuis une quinzaine d'années maintenant, ce qui fonctionne, c'est petit à petit, quoi. C'est faire fonctionner une relation, trouver une stabilité dans une relation. Faire fonctionner une deuxième relation, puis voir qu'elle fonctionne aussi. Et puis, on peut très bien être polyamoureux et célibataire, hein, je dis pas que c'est ça qui fait le… Je me reprends moi-même en m'écoutant. Mais pour moi, c'est pas la durée qui fait la qualité d'une relation, bien sûr, mais c'est un indicateur de stabilité. Et la stabilité, pour moi, aussi, est importante, et pas seulement l'intensité, quoi. Et l'idée d'avoir des relations comme ça, qui durent depuis un, deux, cinq, huit, neuf ans, avec plus ou moins de bonheur. Des fois, ça se passe super bien de bout en bout, et puis des fois il y a des accrochages. C'est vrai aussi dans les relations exclusives des personnes dont l'orientation est exclusive. Ça arrive aussi quoi.

Reste à faire une représentation pour le grand public, et je suppose qu'il faudrait au moins quelqu'un qui s'attelle, par exemple, à faire un podcast sur le sujet. Voir une série télé ou un truc comme ça.

Anne : On va voir ce qu'on peut faire pour la série télé. Déjà, on commence doucement. [rire d'Anne et de Jena]

On peut dire que tu as déjà bâti un foyer, voilà, je ne sais pas comment tu veux l'appeler. Est-ce que tu as ou est-ce que tu veux des enfants ?

Jena : Techniquement on pourrait dire que j'ai… Je n'arrive pas à dire si j'ai un ou deux foyers. Comme je te l'ai dit, je suis mariée et, au moment du mariage, l'officier d'état civil nous a remis un livret de famille. Et ce livret de famille, donc, qui nous comporte toutes les deux. Il trouve aussi que j'ai fait un enfant avec une de mes partenaires. Et à la naissance de cet enfant, on m'a donné un autre livret de famille avec deux autres adultes et un enfant. Enfin avec un autre adulte, et moi. Et donc ça veut dire que voilà, d'un point de vue strictement état civil, il semble que j'ai deux foyers, deux familles.

Pour autant, de manière cohérente avec ce que j'ai dit sur ma conception de l'organisation, j'aimerais voir ça comme une seule grande famille. Ce sont aussi des gens qui s'aiment bien, qui aiment passer du temps ensemble et qui aiment prendre soin de mon enfant quand l'occasion se présente.

Anne : Comment ça se passe, comment ça s'organise la parentalité dans ce genre de cas ?

Jena : Je me souviens d'une fois où on m'a déjà posé la question, et c'était vraiment, c'était un journaliste qui n'avait pas… je pense qu'il connaissait pas le sujet et qu'il n'avait pas de contact. Et qui posait la question de manière très brute, qui était : mais alors voilà, vous êtes trois. Comment est-ce qu'on sait qui a fait l'enfant? Et là, la réponse, elle était simple : bah, il suffit qu'un il en ait un qui mette une capote, enfin je ne sais pas, moi, c'est… Parce que c'était dans un cadre un petit peu plus hétéronormé que la question avait été posée. En ce qui nous concerne, comme on est toutes les trois… comme la grande majorité de notre polycule est féminin, c'était de toute façon avec un recours à la PMA. Et avec la PMA, il y a pas exactement de doute, évidemment, sur qui porte l'enfant, mais aussi qui est géniteur.

En ce qui concerne comment est-ce qu'on organise la famille, qui est-ce qui porte, qui est-ce qui veut porter l'enfant, qui est déclaré·e à l'état civil, etc. Je dirais que c'est comme pour le reste de l'organisation de notre vie polyamoureuse, chaque décision est prise entre deux adultes qui sont dans une relation bilatérale. On vit pas dans une communauté avec un vote démocratique quoi. Encore que, il y aurait certainement rien de mal à ça, mais c'est pas notre organisation. Donc, cette envie d'enfant, c'est quelque chose qui nous animait toutes les deux. Et donc, c'est un projet qu'on a mis en place ensemble. C'est pas une démocratie, mais nous avons consulté nos partenaires. Chacune de notre côté.

Pour moi, c'était particulièrement les partenaires avec qui je vis. C'était important d'avoir leur point de vue, leurs conseils, et même si ce n'était pas présenté comme ça, leur approbation. Il n'était pas question pour moi de demander l'autorisation. Mais si quelqu'un m'avait dit : « ah, écoute, non, moi je peux vraiment pas, je n'imagine pas avoir d'enfant dans ma vie, etc. ». Ah, peut-être que c'est pas compatible. Voilà, c'est des choses qui arrivent, quoi. C'est pas un véto pour autant. Personne n'a de position de véto dans la vie. Ça pourrait vouloir dire que c'est la fin d'une relation. C'est des choses qui arrivent aussi. Sur ce type d'incompatibilité là, peu importe le polyamour. Il y a aussi des couples qui se font et défont sur l'envie ou la capacité de faire des enfants.

Donc on a fait cet enfant. J'ai impliqué mes partenaires dans la réflexion sur les prénoms, dans les voyages à Bruxelles pour la PMA, des choses comme ça, dans le ravitaillement à la maternité… Le plus possible. Ce n'est que le début, il a pas encore un an. Mais ça se profile bien. À moins d'un an, on voit déjà qui qu'il reconnaît les personnes qui sont importantes pour moi, autour de moi. Et j'aime bien qu'il les aime bien aussi.

Le besoin de stabilité que j'ai ressenti dans ma vie amoureuse, il est encore plus important dans la vie de mon fils. Donc, évidemment, je présenterai pas les éventuels coups d'un soir que je ramènerai à la maison, mais les gens que j'ai envie de voir durablement dans ma vie en tout cas, oui, c'est sûr.

Anne : C'est assez intéressant. En fait, on dirait presque que, de manière volontaire ou non, t'arrives à répondre à une critique qu'on entendrait fréquemment sur les enfants qui sont élevés dans des milieux qui ne soient pas exclusifs, avec un papa, une maman, etc. Tu as déjà une réponse toute prête, qui est en fait, déjà un an, ça a l'air de très bien se passer, quoi.

Jena : Oui, il y a ça. Moi, en fait, je suis vraiment convaincue, quel que soit le sujet de l'anormalité, c'est-à-dire de la non-conformité aux règles sociales…

Anne : Avec de gros guillemets, hein.

Jena : Oui, évidemment. L'enfant n'en sait rien, et il en a rien à foutre. Il peut très bien avoir deux papas, deux mamans, quatre mamans, enfin, en tout cas, c'est son quotidien. C'est ce qui le fait fonctionner, c'est ce qui le rend heureux au quotidien. Et ça veut dire que, peut-être, il aura des questions. Il va se poser des questions quand il sera confronté au monde normie à l'extérieur de la maison. Mais ça voudra pas dire qu'il se sentira forcément décalé. S'il vit dans un foyer qu'il aime et qu'il a envie de défendre, et qu'il est fier de ça, en fait, qu'il vient de la façon dont il a été élevé.

Pour répondre à une autre objection qui n'a pas été soulevée, « c'est bon, mais alors c'est deux femmes, il faut une présence masculine, etc. ». Mais des présences, il y en a plein, en fait, et il a potentiellement des présences adultes autour de lui, plus variées que la moyenne. Parce qu'on a des entourages plus variés que la moyenne, à la fois d'un point de vue origine géographique, âge, occupation, orientation sexuelle, etc.

Anne : Dans ton récit, moi il y a un truc qui m'apparaît assez évident et peut-être même un peu amusant, c'est que tu nous parles du fait que tu aies plusieurs livrets de famille, par exemple, moins amusant, mais que tu aies dû aller faire ta PMA en Belgique. Finalement, il y a beaucoup de bricolage et de choses à prendre en compte pour réussir à faire famille ou juste simplement vivre des amours non-exclusives. À terme, à court terme et peut-être à plus long terme, quelles évolutions de la société, ou soyons complètement ambitieuses de la loi pourraient aider à une meilleure prise en compte, peut-être, de nos modes de vie ?

Jena : C'est une bonne question. Il y a un certain nombre de choses que j'ai listé tout à l'heure dans la défense politique du polyamour. L'utilisation du cadre du PACS pour organiser la vie d'un groupe d'adultes qui vit ensemble, ça pourrait être chouette. Et ça nécessite pas des gros changements dans la loi.

Anne : Un PACS non-exclusif ?

Jena : Ouais.

Anne : Tu sais que c'était plus ou moins possible dans le projet de loi ?

Jena : Mais oui, je sais bien. C'était visionnaire. C'était intéressant.

Anne : C'était trop, quoi.

Jena : C'était à la fois trop et pas assez. Le fait qu'on ait eu le PACS relativement tôt en France a fait qu'on a eu le mariage relativement tard en France. Bon, ça, c'est un autre débat.

Qu'est-ce qui pourrait permettre… C'est, de temps en temps, virer un mot ou deux dans un texte de loi qui permet de dire que, eh ben, on pourrait mettre partenaires au pluriel dans le cadre de qui peut bénéficier de la mutuelle de quelqu'un, par exemple, et pas limiter à un. Sur éventuellement le nombre de parents. Sur la possibilité d'acheter une maison en indivision sans avoir à fonder une SCI. Des choses comme ça, des choses qui vont de soi pour un couple à deux personnes. Et qui, comme tu disais, devient un peu un bricolage légal.

Il y a plein de choses qui paraissent… qui sont très compliquées dans la loi française. Voire impossibles quand on est une personne LGBT. Mais il y a des choses qui sont déjà possibles et qui sont aménageables tant qu'il reste encore des petits interstices entre les virgules des décrets d'application.

Ce serait vachement bien que la loi sur la filiation soit réécrite de manière plus simple, c'est certain. Et je pense que, par exemple, l'abolition de la présomption de paternité, pour faire de l'affiliation uniquement un lien de droit fondé sur la volonté des parents, ce serait un grand pas en avant, qui serait vraiment une égalité entre tous les types de couples. Et par là je veux dire couples d'hommes, couples de femmes ou couples contre-nature. [rire d'Anne et de Jena]

Ça, ce serait pas mal et ça, c'est déjà dans le programme de certains partis de gauche. Par exemple, LE Parti de Gauche. C'était déjà dans son programme il y a dix, quinze ans, quoi. Donc, il y a des gens qui y ont réfléchi. Et c'est des programmes qui demandent qu'à être appliqués, quoi. Je sais que la France Insoumise et EELV ont des réflexions intéressantes dans ces directions-là.

Anne : On va tout doucement s'approcher de la fin de ce podcast. J'ai quand même encore quelques petites questions pour toi.

Jena : Faut pas hésiter à me freiner.

Anne : Il y a aucun problème, tout se passe très bien. Est-ce que t'es tombée amoureuse récemment?

Jena : Oui. Define récemment. Je crushe souvent sur des gens. Je pense que, en ce qui me concerne, c'est une distinction importante. Je crushe souvent sur des gens parce qu'il y a plein de gens que je trouve beaux ou belles. Et qu'il y a plein de discussions, de passion, de descriptions de sujets très compliqués, ou très techniques ou légaux ou des intérêts spécifiques des gens qui me rendent les gens beaux. Et du coup, j'ai tendance à crusher facilement là-dessus.

La distinction que je fais avec le fait de tomber amoureuse, c'est que pour tomber amoureuse, pour moi, il faut un peu plus qu'un crush, il faut d'abord une réciprocité. Dans le sens où mon amour est vraiment nourri parce que je perçois chez l'autre. Et j'ai besoin que ça dure.

Le crush, il peut être fugace, particulièrement sur quelqu'un qu'on rencontre un jour dans un dîner ou une réunion associative. C'est le fait de pouvoir entretenir cette discussion, de pouvoir vérifier que cette personne est cool, pas seulement sur un sujet, mais aussi sur un autre, ou qu'elle ne dit pas des grosses bêtises politiques, ou des choses comme ça.

Donc je dirais que mon dernier crush, il doit avoir une semaine ou deux. Ouais, ça doit être ça. Et la dernière fois je suis tombée amoureuse, ça doit être il y a six mois, quoi.

Anne : Qu'est-ce qui te motive, qu'est-ce qui te passionne dans la vie ?

Jena : C'est deux choses très différentes.

Ce qui me passionne, c'est les beautés qu'on trouve dans des endroits inattendus. Quelqu'un qui, d'un coup, ouvre la bouche et qui vous noie d'informations sur un sujet qu'on soupçonnait pas. C'est une équation qui tombe juste. Un tableau Excel réussi. Un tableau à la main, peint ou dessiné à la main, qui donne l'impression d'avoir été photographié. Une construction Lego qui ne devrait pas tenir et qui tient quand même. Voilà. Ça, ça me passionne, ça me captive, ça me fascine, ça me donne envie d'en savoir plus, ça me donne envie de me coller à quelqu'un. Ça me donne envie d'être tout près et de les renifler, d'inhaler quelqu'un tellement j'ai envie d'en savoir plus.

Qu'est-ce qui motive ? C'est de rendre le monde que je reçois un peu plus beau quand je le quitte. Essayer de faire en sorte que ce dont je bénéficie puisse bénéficier à d'autres. Pouvoir bénéficier des mêmes droits que d'autres ont déjà. L'égalité. La justice. Et c'est pour ça que, chaque nuit, je mets un masque et je pars sauver le monde.

Anne : Ça ne m'étonnerait pas beaucoup plus que ça, sincèrement.

Jena : J'aurais vendu la mèche, là.

Anne : Jena, merci infiniment pour ta participation à ce premier numéro du podcast. Tu as été un peu briefée en amont, tu connais la tradition du podcast. Je vais te demander de désigner un·e de tes partenaires qui sera mon invité·e au prochain épisode. Est-ce que tu as fait ton choix ?

Jena : Je pense que je trouverais vraiment chouette d'entendre Paw pour répondre à tes questions.

Anne : C'est la personne avec qui tu t'es mariée, avec qui tu vis.

Jena : Oui, d'abord, parce que j'aime beaucoup l'écouter. Parce que j'aime bien avoir son avis, sur tout ce qui compte et sur le reste. Et parce qu'elle est drôle.

Anne : Tout simplement. Merci encore.

Jena : Merci à toi.

Anne : Plein de bonheur à toi et à tout ton polycule.

Jena : Avec plaisir.

Anne : Et puis, bah, on se dit à très vite, tchao.

Jena : Bye.

Anne : Merci d'avoir écouté ce premier numéro.

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Allez, on se dit à très vite.